1896 heures

1896 heures - BougieÇa y est, le compte à rebours est lancé, nous avons appris que la chirurgie cardiaque de notre fille est prévue le 3 juin… Nous avons accueilli cette nouvelle avec beaucoup de joie et de soulagement. Une excellente journée se terminait donc quand je me suis allongée sous ma couette et que la lumière s’est éteinte.

C’est à ce moment qu’elle est revenue. Cette phrase. Ces quelques mots prononcés dans un couloir de réanimation pédiatrique il y a presque un an maintenant. Cela faisait longtemps que je n’y avais pas repensé.
Le cerveau a cette heureuse manie d’oublier les mauvais moments vous ne trouvez pas ? Quand le temps a passé, on a tendance à ne garder en tête que les bons souvenirs. Je ne garde de mon adolescence par exemple que des images qui me font sourire, les voyages en famille à chercher désespérément l’Acropole à Athènes, les parties de badminton dans le jardin, les soirées pyjama avec les copines à boire du Panaché en signe de rébellion,… oubliés les longues heures de cours, les devoirs, les complexes, les mélodrames adolescents ou autres peines de cœur d’artichaut !
Mais certains souvenirs restent gravés comme si vous veniez de les vivre. Enroulée dans ma couette, je ferme alors les yeux et j’entends raisonner en boucle « c’est précaire hein, à mon avis ça ne tiendra pas… ».

Je rouvre les yeux et je suis debout dans le couloir de l’hôpital cardiologique qui mène au service de réanimation post opératoire (le B16). Nous sommes le 23 juin 2015, il fait très beau et la chaleur semble être déjà un présage de canicule pour les jours à venir. Nous venons de passer des heures intenses depuis l’appel des médecins nous demandant de venir en urgence car l’état de notre fille s’était subitement dégradé.

Elise avait été hospitalisée le 31 mai car son cœur ne parvenait plus à oxygéner son sang suffisamment. Elle devait être opérée rapidement mais deux infections consécutives ont tout fait capoter aux portes du bloc. Ce 22 juin, vers 23h, nous débarquons dans le service pour voir notre fille avant l’intubation. C’est décidé, elle devra être opérée dans la nuit. Malheureusement le bloc est occupé par une greffe qui va durer toute la nuit. Nous attendons, comme deux zombies dans le service puis nous sommes autorisés à rester près de notre fille. Sédatée, ses constantes vitales maintenues par des doses de médicaments impressionnantes, je vois à la tête du médecin que la situation est critique. Il faudra attendre 13h pour que l’anesthésiste vienne enfin chercher Elise. A peine un petit bisou à travers les barreaux du lit et les portes de l’ascenseur se referment. Les infirmières nous conseillent de rentrer chez nous et de revenir dans 4 heures.
Après environ 30 heures sans dormir, nous nous effondrons. 17h, à peine garés sur le parking de l’hôpital, je reçois un appel du cardiologue présent au bloc qui m’annonce que l’opération n’est pas terminée car « tout ne se passe pas comme prévu »… Nous voyons enfin le chirurgien sortir du bloc après deux interminables heures d’attente. Le verdict tombe. Le cœur d’Elise a eu des difficultés à repartir quand ils ont voulu enlever la circulation extra corporelle. La saturation et la tension artérielle sont au plus bas. Nous apprendrons plus tard l’arrêt cardiaque et l’accident vasculaire cérébral. Le chirurgien reste pourtant neutre, il nous fait comprendre que la situation est compliquée, que les heures à venir vont être décisives mais qu’il faut rester confiants.

Nous sommes alors dans ce fameux couloir. Nous appelons nos parents pour leur faire un compte rendu de la situation, tiraillés entre l’angoisse, l’espoir, l’incompréhension. Je suis au téléphone avec mon père quand je la vois arriver. L’anesthésiste, celle qui est venue chercher Elise en blouse et toque bleue. Celle qui ne nous a pas laissé faire un vrai bisou à notre fille. Celle qui nous dit sans un bonjour, sans se présenter, alors que je suis au téléphone… « c’est précaire hein, à mon avis ça ne tiendra pas »… Je fonds alors en larmes. Je raccroche mon téléphone comme je peux et je la vois partir sans un autre mot.

A partir de ce moment là, les images sont un peu confuses dans ma tête, comme si j’avais été sous l’emprise de l’alcool. Je nous vois monter dans le service, mettre une blouse, un masque et approcher du lit où Elise est allongée. Je l’ai souvent vu dans son lit les yeux fermés mais comment expliquer que cette fois-ci, c’était différent. Je pouvais presque voir la Vie et la Mort livrer bataille.
Les médecins de garde nous expliquent que la situation est grave. Elise risque de mourir cette nuit. Si son état se dégrade encore nous serons conduits dans une chambre seule pour plus d’intimité…

Et là je me demande comment la Mort va se manifester. Le scope va-t-il se mettre à sonner ? Les médecins vont-ils arriver en courant ? Vont-ils simplement décider de couper le respirateur et ce sera fini ? Va-t-on entendre comme dans les films « heure du décès 21h » ? Je me focalise sur l’infirmier qui s’occupe d’Elise, Jean-Baptiste. Il fait preuve de pudeur, de tact, de simplicité. Il fait son travail de façon remarquable. Je me dis ensuite qu’il faut appeler mes parents et beaux-parents pour leur dire qu’il risquent d’avoir un deuxième appel dans la nuit… Comment annoncer au téléphone que son enfant va mourir ? Je crois que ce qui m’a fait le plus de peine cette nuit là, c’est d’en causer aux autres. J’ai oublié pendant un temps que j’étais la maman et je ne pensais plus qu’à l’angoisse et la tristesse que pouvaient ressentir nos familles.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée au téléphone mais à mon retour auprès d’Elise, je vois son père près d’elle et je l’entends lui donner des consignes… « Allez on remonte la sat d’un point et on maintient, c’est bien ». Je me suis assise et je l’ai laissé faire. Quand je misais sur la Mort, Super Papa a parié sur la Vie. Je reste encore persuadée qu’Elise l’a entendue et qu’il l’a sauvé.

D’heure en heure les constantes vitales se sont améliorées, les bilans sanguins étaient encourageants. Nous avons pu rentrer chez nous au milieu de la nuit car finalement nous n’aurions pas besoin de cette fameuse chambre seule…

La cavalerie est arrivée au matin. Parents et beaux parents sont venus nous soutenir !
Nous vivions au jour le jour. Chaque petite victoire, un nouvel espoir. Chaque complication, une nouvelle épreuve. Elise était dépendante de son respirateur et personne ne pouvait nous dire si elle pourra s’en passer un jour car une grave infection avait détérioré ses poumons. Nous étions présents quotidiennement. Super Papa donnait toujours ses consignes et puis un jour le respirateur n’a plus été utile. Elise a été extubée, elle n’a plus eu besoin d’oxygène. Nous redoutions alors tous de voir dans quel état serait son cerveau. Quand ses yeux se sont ouverts, j’ai su qu’elle nous avait reconnus. Nous avons réalisé que nous étions des « survivants »…

Nous sommes rentrés à la maison avec tellement de joie dans le cœur et de fierté d’avoir vu notre fille se battre et ne jamais abandonner.

1896 heures à espérer.

Pourquoi raconter tout cela aujourd’hui ? Sûrement pour exorciser de vieux démons mais surtout pour témoigner des épreuves que l’on peut vivre à l’hôpital. Je rigole quand j’entends les médecins avant les opérations dire en consultation que ceci va se dérouler comme ça, que l’hospitalisation durera 10 jours, que l’opération est simple.
Il arrive bien souvent que rien ne se passe comme prévu. L’hôpital, ce n’est pas le monde des Bisounours. Nous y avons vécu la mort de deux enfants dont nous connaissions les parents, nous avons du encaisser le manque de diplomatie de certains médecins, nous avons du apprendre la patience car la médecine n’est pas une science infuse.

Loin de moi l’idée de faire peur ou de porter la poisse. Je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu l’été dernier, même à mon pire ennemi. La clé c’est d’y croire quoi qu’il arrive. On laisse ses angoisses au vestiaire et on rentre dans la chambre de son enfant avec le sourire, la tendresse et la joie dans la voix. Je ne peux qu’être persuadée de la véracité de cette expression :

Tant qu’il y a de la Vie, il y a de l’Espoir !

On me dit souvent que j’ai fait preuve de force et de courage et que je suis une Super Maman. Je ne suis pas d’accord avec vous. Combien de fois ai-je murmuré à l’oreille de ma fille que si elle était trop fatiguée pour continuer la bataille, elle pouvait partir, que sa maman ne lui en voudrait pas et qu’elle l’aimerait toujours ?

Je vais m’appuyer sur un magnifique témoignage de parents d’enfants autistes sur Internet : Je ne suis pas pleine de Courage, je suis pleine d’Amour.

Commentaires(9)
  1. Julie 18 mai 2016
  2. Anne Laure 1 mai 2016
  3. Pauline 1 mai 2016
  4. Une sur trois mille 30 avril 2016
    • Muriel Hoffarth 13 mai 2016
      • Une sur trois mille 13 mai 2016
  5. Cecile 30 avril 2016
    • Une sur trois mille 30 avril 2016
  6. Marion 30 avril 2016

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